Qu'est-ce qui permet à des individus de devenir une communauté d'expérience ? Qu'est-ce qui permet aux vulnérabilités révélées de nourrir cette communauté loin de tout pathos ? Qu'est-ce qui fait que la pensée, le pouvoir sensible du corps et la créativité peuvent se compléter en douceur et renforcer nos liens au monde ?
Nous rentrons tout juste de la Vallée de Névache. Nous étions quinze ; quinze personnalités et sensibilités différentes, engagées dans le monde chacune à leur façon.
Entre cols, lacs, et bien sûr la rivière Clarée, d'ateliers en échanges d'idées, nous avons tenté de définir nos "écobiographies" et de leur donner un sens dans un monde en changement.
"Nous sommes allés dans des recoins du monde et du je, en douceur, avec exigence et ambition, dans la pluralité des savoirs du corps, du cœur et du grand souffle" Jean-Philippe Pierron
Du 24 au 29 aout, nous avons proposé avec Jean-Philippe Pierron - philosophe du soin et du vivant-, et Mado Ehrenborg - exploratrice sensible des rivières-, une semaine d'exercices pratiques, de marche, d'ateliers créatifs et de réflexion. Avec un fil rouge : la puissance de la poétique dans nos vies, pour être pleinement et pour agir.
Nous avons jour après jour traversé :
(i) l'écobiographie (nos expériences de nature fondatrices de nos identités) spontanée et racontée, soutenue par notre capacité à décrire et connaitre ce qui nous entoure,
(ii) l'écobiographie atrophiée, parfois "malheureuse", comment nos corps et nos psychés posent parfois des limites à nos expériences de nature,
(iii) l'écobiographie enrichie de multiples modalités de relations à la nature et de multiples points de vue (en intégrant le paysage du point de vue d'un autre vivant par exemple),
(iv) le récit, la poésie et l'art comme outils de traduction d'une écobiographie à la première personne vers plus large que soi,
(v) la communauté d'expérience comme passage du "je" au "nous".
Le tout dans une profondeur et une légèreté pleine d'humour portées par chacun.e des participant.e.s. Merci à vous pour cette expérience hors du temps qui permet de s'y inscrire mieux encore.
Une aventure à revivre...
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Constance (dimanche, 08 septembre 2024 13:47)
Mon itinérance éco-biographique dans la vallée de la Clarée :
Marcher . Montée : lever les yeux vers le ciel, la chaîne dentelée découpe le ciel, au petit matin elle est rose, sur fond indigo. Dans le ciel tournoient et planent des vautours. Que voient-ils de nous, petits bipèdes gravissant la pente au rythme de notre souffle, mettant notre pas dans celui qui nous précède ? Voient-ils notre bonheur, les yeux brillants et dans la bouche encore la saveur d'une myrtille violette, en arrivant au col, ou débouchant sur un lac tout vert ? Voient-ils combien nous en sommes émerveillés ? Combien nous sommes "rassérénés" (i.e. rendus à la sérénité) ? Descente : dévaler la pente, mais aussi regarder vers le bas, vers le tout petit, traces, grenouilles, insectes. Et écouter, sentir, être le torrent, la rivière, s'incorporer à l'hermine qui virevolte le long de la berge, au caillou à demi-immergé contre qui l'eau se coule et se frotte ; le chant de la rivière, des oiseaux ; la brise sur le visage, la fraîcheur de l'eau dans la vasque qui nous inonde. Déconnectés des réseaux, nous cherchons à nous connecter au vivant, par tous nos sens, et à travers "l'itinérance", l'errance guidée par Mado et Irène, à s'engager dans un mouvement au plus près de soi et des autres, dans une flânerie attentive, se désaxer légèrement, un pas de côté, développer l'observation, l'écoute, la contemplation, l'émerveillement enfantin retrouvé, le jour dans la montagne, la nuit sous les étoiles, et à la fin s'émerveiller d'être ainsi reliée au monde qui nous entoure et aussi aux autres, à ce corps collectif que nous formons, chacune et chacun avec son "éco-biographie" propre, et ses silences, et ses joies et ses peines déposées au milieu de notre cercle et reçues. Merci à Jean-Philippe qui a nourri nos réflexions et les échanges entre nous tout au long de ces journées, sans jamais se départir de son humour et de son écoute, merci à Irène et à Mado qui nous ont permis d'explorer nos liens au " vivant" autour et en nous (avec une imagination et une créativité vraiment débordante et joyeuse) et aussi, parfois, nous ont laissés nous confronter à nos limites et nos failles, sans pathos, avec délicatesse, attentives à ce qu'on soit bien, et en confiance, et ensemble. Merci à la rivière, la magnifique et généreuse Clarée, qui nous a accompagnés tout du long. Merci à chacun et chacune de ce corps collectif, avec qui je me suis sentie proche, reliée et soutenue. Quelle expérience ! Il me faudra du temps pour laisser tout ça décanter, mais je sais déjà que j'en reviens "bougée", émue et joyeuse. Ah ! oui ! bien sûr: rien de pesant dans tout ça,: toutes ces journées ont étés traversées de rires, de délires joyeux, d'échanges sincères et affectueux... Une itinérance philosophique placée sous le signe de la légèreté. Et ça, c'est du lourd !
Constance